J’emploie aussi des éléments de la religion populaire réunionnaise comme les p’tits bons dieux – ces petites constructions que l’on trouve au bord des routes pour rappeler les morts. Et, je m’inspire des cérémonies malgaches, des cérémonies des ancêtres. Mes représentations de corps humains sont souvent fantômisées. Ce sont des esprits dont on ne peut distinguer s’ils sont masculins ou féminins. Des formes signalées dans leurs contours.1
Au large des itinéraires publicitaires et de l’académisme des urbaines cultures, pendant longtemps, Kid et Boogie ont racontés les « zamérantes » qui hantent tant de lieux abandonnés à La Réunion : boutik shinoi, maisons coloniales, locaux désertés, entrepôts. Clandestin puisque souvent nocturne, l’exercice exige organisation, rapidité, vigilance et discrétion. Et avant tout une intelligence pour repérer, choisir et comprendre ce que racontent ces lieux.
Et puisque qu’il est évident que presque rien n’est consultable dans le réel, c’est vers ceux qui pensent en rêvant et en écrivant et en dessinant2, qu’ils trouvent « connaissance ». Kid et Boogie tracent de fabuleuses cartes d’observation de l’île, comprennent la sismologie des lieux dits et rédigent un glossaire de ce qui nous regarde.
Où sommes nous lorsque qu’un ami, un voisin disparaît brutalement au bord d’une route, d’un chemin, d’un raidillon et qu’avec 1 sac de ciment, quelques ferrailles, des morceaux de carrelage nous construisons un abri pour qu’ailleurs, l’esprit du disparu trouve calme et sérénité ?
Où sommes nous lorsque qu’après avoir recouvert cette fragile construction de peinture rouge – les « petites maisons » comme disent les visiteurs – couleur chère à Louis Pavageau3, chargée de milles pouvoirs, nous installons soigneusement, statuette, bougies, ex-voto, prière, au cœur de l’édifice et que nous en offrons l’usage à tous ceux qui passent ?
Qui sommes nous enfin pour baliser ainsi un territoire, le scénographié en somme ?
Tous les artistes cherchent. Certains trouvent, se retrouvent et découvrent. Découvrir c’est dévoiler et sans doute révéler. Pour révéler il faut repérer et se situer.
En 2018, les 5XP10 de Kid Kréol et Boogie sont présentés là où en 1991 nous exposions4 une série de toiles de grand format sur les « Ti bondié ».
Il y eut un moment peut-être à Piton Rouge sur les pentes du Maïdo, où n’est-ce pas plutôt entre la Ravine du Butor et celle de Patate à Durand, qu’un monde nouveau, mais familier apparut. Et des corps entremêlés aux pochoirs de Tèt Kaf sur les murs, des paysages de Bras Mouton aux Bondié le long des sentiers, il devint évident qu’avant de se rencontrer, Wilhiam Zitte, Kid Kréol et Boogie se connaissaient.
1 L’artcréologie de Wilhiam Zitte : les cultures réunionnaises. Entretien de Christine Eyene avec Wilhiam Zitte. http://africultures.com/ Publié le 28 avril 2008.
2 Christian Jalma, Stéphane Gilles, Jules Hermann, Malcom de Chazal, Patrice Treuthardt, Nicolas Gerodou.
3 Louis Pavageau aka Ligne Rouge, street plasticien décédé en 2009 qui fut un très proche ami de Kid Kréol et Boogie.
4 Les Arts Déchaînés. Exposition collective organisée par Batissage à Jeumon avec des œuvres de Jack Beng-Thi, François Giraud, Éric Pongérard, Laurent Segelstein, Antoine Du Vignaux et Wilhiam Zitte pour les plasticiens, et de Jean-Luc Trulès, compositeur qui s’est occupé de la sonorisatio de l’exposition. La scénographie est signée Emmanuel Cambou.